Nous avons vu dans un billet précédent que l’innovation conduisait à de nombreux échecs et nous nous sommes questionnés sur l’incapacité du marketing à répondre à ce problème.
Essayons pour cela de comprendre pour qui et pour quoi les gourous du marketing ont pu développer ces approches données pour universelles. Avec un moindre effort d’imagination on visualise bien des produits comme les boissons au cola, les chewing-gums, les couches-culottes, les composants électroniques, les automobiles et autres sortes de produits vendus à grande échelle par des entreprises qui luttent à couteaux tirés pour ravir des parts de marché mondiales à leurs concurrents. Pour relever ce défi (car c’en est effectivement un) ces entreprises doivent exercer leur métier avec excellence en s’améliorant en permanence sur ce qu’elles font déjà bien au quotidien. C’est ce qu’on appelle l’exploitation qui s’applique à tout le cycle d’activité de l’entreprise depuis l’achat des matières premières à la vente des produits avec profit en passant par la transformation des composants et matières premières en produit et la distribution de ceux-ci.Fig 1 – Amélioration continue des différents postes de l’entreprise
Le cycle de l’exploitation étant le cœur du métier de l’entreprise il représente 90 à 95 % de l’activité l’entreprise c’est-à-dire 90 à 95 % des investissements, du personnel, de l’énergie, du temps passé par l’entreprise. Il est donc bien logique que les gourous du marketing aient choisi d’abord d’aider les entreprises à mieux faire l’essentiel. Et pour le reste, à quoi sont consacrés les 5 à 10 % d’activité « marginale » de l’entreprise ? A ce qu’on appelle l’exploration.
Fig 2 – Proportion d’activité d’exploitation et d’exploration
Alors que l’exploitation revient en quelque sorte à travailler dans sa zone de confort, l’exploration consiste à s’éloigner des compétences qu’on maitrise bien pour aller au-devant de compétences nouvelles, de marchés nouveaux, de comportements nouveaux, en d’autres termes à s’exposer à l’inconnu. Pour positionner ces deux postures l’une par rapport à l’autre, James MARCH[1] indique que l’exploitation est associée à des notions telles que l’amélioration, la production, l’efficacité, la sélection, la mise en œuvre, l’exécution. Quant à l’exploration elle serait plutôt associée à la recherche, la variation, la prise de risque, l’expérimentation, le jeu, la flexibilité, la découverte.
Voilà donc le cœur du problème. Compte tenu que tous les managers sont formés au courant dominant du marketing, ils ne connaissent que celui-ci et s’en contentent fort bien puisqu’il marche bien dans 95 % des cas. Mais lorsqu’ils sont confrontés au problème de l’exploration, ils appliquent le seul marketing qu’ils connaissent, sans réaliser qu’il est inapproprié à la situation et s’étonnent que cela ne marche pas alors que ça fonctionne si bien d’habitude. Alors on pense que c’est la faute à pas de chance ou au fait que l’innovation est plus risquée par nature et la fois d’après on refait pareil.
En synthèse de ces considérations sur la nature de l’innovation, nous pouvons dire que l’innovation de rupture ou d’exploration reste un événement plutôt exceptionnel dans la vie de l’entreprise, puisqu’elle fait partie des 5 à 10% du domaine de l’exploration pour lesquels le marketing des gourous est mal adapté. Cela en est à un tel point qu’en appliquant les principes du courant dominant à l’innovation on en arrive à des paradoxes que nous explorerons dans de prochains articles.
Article écrit par Paul Millier
[1] MARCH James Exploration and exploitation in organizational learning. In; Organization science, Vol. 2, n°1; Special issue: Organizational learning:Papers in honorof James MARCH, 1991, pp 71-87.
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