Premier principe paradoxal : Faire une étude de marché

 Est-ce un si bon plan de faire une étude de marché pour innover ?

Tout le monde a entendu dire qu’il faut faire une étude de marché avant de démarrer une activité nouvelle. Tous les investisseurs exigent une étude de marché avant de financer le démarrage d’une activité innovante. Mais réfléchissons à ce qu’est une étude de marché au sens strict et aux pièges qu’elle peut réserver à l’innovation. Prenons pour cela l’exemple du téléphone portable. Une étude va nous fournir la photographie d’un marché de deux milliards d’appareils vendus dans le monde, dont X% sont vendus aux USA, Y% en Europe, Z % en Extrême-Orient et W% dans le reste du monde. La photo sera complétée par quelques détails indiquant que les acheteurs se répartissent entre les cadres, les mères de famille, les adolescents, les professionnels de la route et du commerce. Mais combien de temps a mis ce marché pour se construire, pour arriver à l’aspect qu’on lui connaît aujourd’hui et que l’étude permet de représenter: 30 ans au minimum.

Donc, l’étude de marché va donner une photo statique (ou au mieux extrapolée) d’un marché qui est le reflet d’un processus passé. Or ce qui préoccupe l’innovation ce n’est pas le passé, c’est l’avenir. Si nous reprenons aujourd’hui les études du marché du téléphone portable faites en 1980, les plus optimistes envisageaient des ventes de 500 000 appareils par an en l’an 2000. A l’époque les consommateurs interrogés ne voyaient aucun intérêt au téléphone mobile et répondaient : « A quoi cela me servirait-il ? Il y a des cabines téléphoniques partout ! » Dans le référentiel de l’époque le téléphone portable (ou plutôt transportable) était envisagé au mieux comme un substitut aux systèmes de radio VHF/UHF embarqués dans les véhicules des pompiers et des ambulanciers. Une étude de marché raisonne en quelque sorte « toutes choses égales par ailleurs » mais justement avec l’innovation rien n’est plus jamais comme avant. Ainsi, pour être utile à l’innovation, une bonne étude marketing exploratoire doit être capable d’anticiper en quoi l’innovation va bouleverser le marché, sa structure, son fonctionnement, ses règles. Par exemple la montre électronique a bouleversé le marché de la montre qui était détenu à 100% par la montre mécanique jusqu’en 1970. En 15 ans le nombre de montres a été multiplié par cinquante (élargissement des contours du marché) et le marché de l’offre s’est réparti en un tiers de montres mécaniques, un tiers de montres électroniques analogiques et un tiers de montres électroniques digitales (modification de la structure et du fonctionnement du marché de l’offre). En dernier lieu, nous possédons plusieurs montres ou nous les jetons lorsqu’elles ne marchent plus, ce qui représente un véritable bouleversement de comportement par rapport à l’époque où on gardait toute sa vie la montre de sa communion ou de ses fiançailles.

En d’autres termes, faire une étude de marché revient à se condamner à attaquer les marchés d’hier avec les armes de la dernière guerre. En effet en imitant la stratégie qui a réussi à ceux qui se sont affirmés comme leaders du marché, on risque de mettre en œuvre une stratégie qui marchait dans les conditions d’hier mais pas forcément dans les conditions de demain, qu’on va d’ailleurs soi-même contribuer à bouleverser.

Ce constat étant posé, comment réaliser en pratique ce type d’étude car cela est plus facile à dire qu’à faire. Dans le cas où le marché existe on peut admettre qu’on peut le représenter ; le photographier en quelque sorte. Mais comment photographier quelque chose qui n’existe pas ? Une seule solution ; il faut, à la manière d’un peintre ou d’un artiste se le figurer. Comme l’information est rare, on va d’abord collecter le peu qui existe quant au reste, il va falloir l’inventer. Cela signifie en pratique qu’on va devoir co-créer de l’information avec d’éventuels futurs utilisateurs qu’on va stimuler en leur disant : « compte tenu des problèmes que vous avez à résoudre, que feriez-vous si vous disposiez de ce truc que je viens d’inventer » ? Partant de là, on va trier et interpréter l’information en fonction de ce qu’il nous semble possible de faire avec l’innovation. On procède à cette opération de tri et d’interprétation en utilisant une méthode de segmentation appropriée à la situation de rareté d’’information. Cette méthode appelée « Segmentuition™ » et dont nous donnerons un aperçu dans un prochain article.est présentée dans l’ouvrage de Paul Millier ; L’étude des marchés qui n’existent pas encore.

Mais si une chose est d’avoir la méthode pour traiter l’information, une autre chose est, préalablement, de disposer de l’information pertinente à traiter. Garbage In, Garbage Out ! Pas de bonne information, pas de bonne décision. Dans de prochains articles nous détaillerons comment concevoir l’échantillon d’une population encore inconnue et comment concevoir le guide d’entretien pour co-créer de l’information.

 On l’aura compris à la lecture de cet article, il y a étude de marché et étude de marché. Il y a les études faites pour la situation d’exploitation des marchés existants (les plus courantes et les mieux maitrisées) et les études faites pour l’exploration des marchés à venir. Si on applique les premières à l’innovation, ça plante et on se demande pourquoi car cela donne satisfaction d’habitude. Rien ne résume mieux les choses que le commentaire du directeur marketing d’une grande entreprise française, le jour de la remise des résultats d’une étude marketing exploratoire faite au bénéfice d’une innovation de son entreprise. « Quand je pense à tout l’argent que j’ai dépensé auparavant en études de marché….et bien je continuerai ! Je continuerai car j’ai compris qu’une étude marché peut m’apporter la toile de fond sur laquelle va se dérouler la scène de mon innovation et des chiffres indispensables. En revanche l’étude marketing exploratoire va me donner les clés de lecture de l’étude de marché et va me permettre de bâtir le scénario d’avenir de mon innovation et donc d’écrire un business plan fondé sur autre chose que des hypothèses hasardeuses. » Pour décoder ce commentaire, on peut dire que s’appuyer seulement sur une étude de marché pour lancer une innovation, c’est un peu comme vouloir faire le chemin de Saint Jacques de Compostelle à pied avec la carte de France et d’Espagne. Cela donne les grandes lignes, les orientations, les distances…mais cela ne permet ni de planifier la distance journalière à faire, ni de savoir on l’on va trouver un point d’eau pour se désaltérer, ni de savoir dans quelle auberge on va dormir. Pour faire son plan de marche il faut en plus le guide du pèlerin de Compostelle. Et bien il en est de même avec l’innovation, si on veut construire un business plan, il faut une étude marketing exploratoire spécifique à cette innovation qu’on ne peut par définition pas trouver toute prête sur internet car cela voudrait dire que l’innovation n’est déjà plus si innovante que cela.

                                     Article écrit par Paul Millier le 24 Mai 2011

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3 Responses to Premier principe paradoxal : Faire une étude de marché

  1. C’est l’article très efficace. Il est bien écrit et a l’amusement. Aussi, il est très instructif. J’ai vraiment apprécié la partie où vous dites que modifier votre avis sur le site de blog. Merci …………..

  2. Thomas Guyon says:

    Quelle bonne idée de décliner en articles de blog les grands thèmes de votre ouvrage sur les marchés qui n’existent pas encore.
    J’aprécierai de lire un maximum d’exemples illustratifs, éventuellement avec des sociétés connues.

    Encore bravo.

  3. Julie says:

    Très bon article : merci ! Pour les curieux de l’étude de marché, je conseille cet article en complément : https://www.thebusinessplanshop.com/blog/fr/page/etude-de-marche

    A bientôt !

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