Un deuxième exemple de fourvoiement induit par le marketing classique consiste à vouloir analyser les besoins des clients pour développer des offres adaptées à leurs besoins. Voila bien encore un leurre, une illusion que d’espérer identifier quoi que ce soit d’utile ! Oh bien sûr le client questionné sur son ordinateur portable pourra dire qu’il a besoin d’un ordinateur plus rapide plus léger et de plus grande autonomie. Il pourra le dire car l’ordinateur lui est familier et il a identifié des points à améliorer. D’une manière générale un client ne peut s’exprimer que sur ce qui lui est familier. Il ne peut exprimer que l’explicite, ce qui ne peut conduire qu’à de l’innovation d’amélioration.
Une preuve qu’on ne peut pas demander aux clients d’exprimer leurs besoins, nous est donnée par une expérience originale. Un chercheur a demandé à des joueurs de tennis de haut niveau leur secret pour gagner (d’après Malcolm Gladwell « Intuition ») Leurs réponses ont été : « je m’entraîne, je mange bien, j’ai du bon matériel, un bon entraîneur, j’étudie les adversaires ». Rien de plus que ce que dirait un bon joueur de club local. Faisons un petit test. « Fermons les yeux pour mieux voir » et essayons d’imaginer un être cher ; son mari, sa femme, un ami. Peut-on maintenant envisager être capable de donner une description écrite suffisamment détaillée pour qu’un tiers puisse reconnaître sans ambiguïté la personne décrite au milieu d’une foule ? Il lui serait tout bonnement impossible de reconnaître cette personne alors que l’auteur pourrait le faire instantanément sans effort. Si on ne peut pas faire cet exercice pour une personne qui nous est proche et qui nous touche émotionnellement comment imaginer qu’un client puisse dire quelque chose de consistant, d’intelligent et d’exploitable sur un sujet dont il n’a jamais entendu parler et qui le concerne de loin ? Qui est capable de dire à quelle saveur il voudra sa Danette l’année prochaine ou à quel nouveau type de réseau social il rêve ?
Tout ceci pose le problème de la définition du besoin, qui est lié à une notion de manque. Comment peut-on avoir besoin de jus de fruits à la papaye avant d’y avoir goûté ? Les besoins sont en fait limités en nombre et ont été recensés depuis longtemps par Maslow et sa fameuse pyramide. Mais prenons un besoin aussi banal que boire. On peut le satisfaire en buvant de l’eau, du vin, de la bière, du soda. Du soda, on peut en boire du rouge, du blanc, du vert, du orange, du noir. Parmi les sodas noirs en peut boire du Pepsi, du Coca ordinaire, du Coca Black du Coca Sherry, du Coca Light, du Coca zéro….En d’autres termes si le nombre de besoins est limité, la manière de les satisfaire est illimitée ou du moins est elle limitée par la créativité des innovateurs qui font des propositions qu’ils poussent sur les marchés.
Un nombre limité de besoins
Que peut-on tirer comme enseignement de cet exemple ? Simplement que tant qu’on ne met pas quelque chose de vraiment nouveau dans les mains des clients, ils sont incapables de demander l’inimaginable. Henry Ford disait : « Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils veulent ils auraient répondu un cheval plus rapide ! »
Article écrit par Paul Millier
le 30 Juin 2011
Bonjour Mr Millier,
Si je comprends bien, on réaffirme ici le fait qu’une innovation ne peut réellement être pensée que par une personne qui connait bien un marché et ses clients et qui est en plus visionnaire ? Existent-ils des outils qui permettent d’obtenir des informations autrement qu’en prototypant un produit fini et en le mettant entre les mains d’un potentiel client ?
Je suis actuellement en stage de création d’entreprise sur un projet de commercialisation d’un système d’impression innovant. Force est de constater que je n’ai pas les outils qui me permettraient de voir clair dans mon approche de positionnement car les études de marchés ne répondent pas à mes interrogations. Je proposerait bien à mes actionnaires d’avancer sur le modèle « trial and error » mais les investissements ne le permettent pas.
Cdt
MN
Bonjour,
La quête d’une
Bonjour,
La quête d’une personne qui connait bien un marché et ses clients et qui est en plus visionnaire
est tirée des romans ; c’est l’image qu’on se fait des Steve Jobs et Graham Bell. En réalité, il y a bien des techniques pour éviter de faire du « trial and error », d’autant que re-concevoir une technologie par cette méthode coûte bien plus cher qu’une étude préalable appropriée qui impacte directement son cahier des charges initial et sa stratégie. A ce titre, Paul MILLIER pourrait citer son Etude des marchés qui n’existent pas encore !
Mathieu
oui vous avez bien résumé la situation. Néanmoins une approche ethnographique telle que celle decrite par Hi Mariampolski permet de bien debroussailler le terrain. Pour une etude en milieu plus industriel mon livre « L’etude des marchés qui n’existent pas encore » apporte qq réponses
cordialement
Paul Millier
Très bonne analyse qui n’est pas valable que pour les nouveaux produits, mais aussi pour la mesure de la satisfaction et plus généralement dans le cadre des marketing des services. Un texte ici qui va dans le même sens : http://christophe-benavent.blogspot.com/2010_09_01_archive.html
Merci pour cet excellent article qui fait parfaitement echo à celui sur l’analyse des besoins clients. Je m’empresse de le retwitter
cordialement
Paul Millier
Quand on cherche à innover à partir de rien, c’est vrai.
Traitant plus d’inventions qui tentent désespérément de trouver leur place sur le marché, je constate que cet entêtement à demander aux clients d’exprimer leurs besoins est aussi très présent à ce niveau. Notons qu’une invention répond en général déjà à un besoin : celui de l’inventeur. En outre, il est rare que ce besoin soit généralisé et encore moins exprimé…
L’inventeur est en général d’autant plus attiré par une étude de marché classique, qu’il est persuadé que la réponse est dans les résultats quanti (qu’il a déjà imaginés : « je compte prendre 0.5% du marché ») qui déboucheront immanquablement sur un peu de quali (comme si c’était déjà un marché de masse).
J’aime l’idée qu’il faille coucher des utilisateurs sur le divan et les faire parler de leurs problèmes (manques) pour en déduire des pistes de besoins.A ce titre, je rappelle à toutes PME que je rencontre que les utilisateurs ne sont pas les seuls à interroger, il faut connaître les problèmes des personnes qui fabriquent, programment, vendent, réparent, recyclent, le produit ou le service…. Ainsi on a une chance de mettre au point quelque chose de vraiment original qui englobera bien plus d’éléments différenciateurs et d’occasions d’en dire du bien.