Risquée l’innovation ?

C’est énervant pour trois raisons, d’entendre dire à tout bout de champ que l’innovation est risquée.

Premièrement comme le soulignait Laurent Constantin du Medef Lyon Rhône lors de la table ronde du Club des Entrepreneurs de TLM du 19 septembre (cf lien sur le site : Paul Millier en direct au club des entrepreneurs de TLM), l’innovation n’est pas risquée. Au contraire elle est porteuse d’espoir et d’avenir, car c’est elle qui va ramener le cash de demain. Or, à force de la diaboliser, elle finit par inspirer plus la peur que la confiance.

Deuxièmement, quand on dit qu’on prend un risque à innover on oublie souvent de se poser la question du risque encore plus grand qu’on prend à ne pas innover. On dirait qu’entre le risque de réussir (en innovant) et la certitude de mourir (en n’innovant pas) les entreprises préfèrent la deuxième solution !

Troisièmement, l’innovation n’est pas intrinsèquement risquée car on ne risque rien tant qu’on n’a rien dépensé ! En réalité, on la fait devenir risquée ! En effet quand on regarde ce que fait concrètement le système d’aide à l’innovation en France, ou de manière plus générale en Europe (ANR, OSEO, pôles de compétitivité, CIR, JEI, programmes européens…), celui-ci est tellement tourné vers la R&D qu’il n’aide pas l’innovation mais la recherche. Ceci a pour première conséquence de véhiculer l’idée que l’innovation est quasiment toujours synonyme de recherche ou de développement de produits et, de fait, le système n’encourage que les innovations à caractère technologique. Ainsi dans l’esprit du plus grand nombre, l’innovation ne commence à exister que quand un processus est enclenché et qu’on a dépensé – ou qu’on s’apprête à dépenser- de l’argent pour le mener à bien. Et c’est bien là le problème ! Si on saisissait l’innovation avant le début du processus de développement, l’innovation ne serait alors plus risquée, mais seulement incertaine. Les processus de réflexion en amont au cours desquels on foisonne d’idées ne conduisent, en effet, ni a des dépenses conséquentes, ni à l’usage de matériel de pointe. Mais hélas, pour le commun des ingénieurs et des rationnels, une innovation n’existe pas tant qu’elle n’est pas matérialisée par quelque chose de repérable ; un budget, une équipe, un chef projet, un laboratoire, des machines, un planning, des objectifs, des jalons,… Or, pour en être à ce stade, il faut déjà avoir une idée assez précise de ce qu’on veut faire. Ce phénomène est amplifié par le fait que dans la plupart des entreprises, la fonction innovation est confiée à la fonction technique ou à la R&D qui fonctionnent par projet et pour qui une idée ne mérite pas le nom d’innovation tant qu’il n’y a rien à breveter.

 En conséquence, quand on ajoute d’un coté le système d’aide à l’innovation qui ne finance que de la R&D et d’un autre coté le comportement des entreprises qui considèrent que l’innovation est technologique ou n’est pas, on réunit tous les ingrédients pour que les innovations deviennent fatalement risquées car engagées dans un processus qui coute. Ce diagnostic étant fait, on peut envisager deux pistes pour élargir cette vision du « one best way » de l’innovation par la recherche.

D’une part quand on y réfléchit, faire de la recherche est une manière bien couteuse de créer de la valeur alors que d’autres solutions présentent un meilleur rapport cout/valeur créée. C’est ainsi que les innovations peuvent se trouver aussi dans le service, la relation client, la relation fournisseurs, l’organisation, le fonctionnement de l’entreprise, le business model et pas seulement dans le produit. A titre d’exemple, celui qui a inventé le journal gratuit n’a investi ni dans le développement du produit (le journal) ni dans le développement du process de fabrication (l’imprimerie) Il a créé de la valeur avec un investissement de départ réduit. La première piste consiste donc à élargir formellement la notion d’innovation à d’autres sources que la technologie, ce qui peut conduire au passage, à faire gérer la fonction innovation par une entité qui ne dépende ni de la technique ni de la R&D.

D’autre part si on ne veut pas se condamner à voir le mauvais coté de l’innovation (le risque) mais aussi le bon coté (l’espoir, l’avenir, le potentiel le rêve..) la deuxième piste consiste à considérer que l’innovation existe avant d’avoir été matérialisée par un coûteux projet de R&D. Investir sur l’idée du début qui a tout le potentiel devant elle et la confronter au marché avant d’engager des dépenses irréversibles est la première étape à franchir pour reconnaître qu’innover c’est créer de la valeur alors que faire de la R&D c’est consommer des ressources.

Article rédigé par Samuel DISDIER (MSMTI 2011) et Paul MILLIER 

le 7 Janvier 2012

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4 Responses to Risquée l’innovation ?

  1. calculman says:

    Tout à fait d’accord avec vous sur la définition « technologique » forgée par les systèmes d’aide. Ex. tiré de la FAQ des pages officielles du concours national d’aide à la création d’entreprises innovantes : »Un projet de service innovant n’est éligible au concours que lorsque le service est associé ou s’appuie sur une technologie innovante ». D’un autre coté, ce système d’aide distribue des subventions, avances etc… de l’argent pour résumer. En réaction il faut bien s’attendre à des projets « dépensiers » (si l’on aidait que les roux, les fabricants de teinture verraient sans doute leur CA exploser pour ne pas répéter l’histoire du marteau et du clou).
    On peut se poser des questions : comment aider l’innovation autrement qu’en dépensant ou quand on est dans un système public ou para-public de soutien à l’innovation comment justifier son action si l’on ne dépense pas d’argent. Mais c’est un autre débat qui aboutirait sans doute à des questions culturelles et bureaucratiques.

    C’est du coté des chefs d’entreprises que je vous suis moins : pourquoi un choix coût/valeur inefficace ? N’est-ce pas leur boulot de rechercher l’efficacité ? Pourquoi déléguer l’innovation à un service R&D ou technique s’il s’agit d’abord d’une idée ? Les entrepreneurs français n’ont pas d’idées ?

  2. Etant quotidiennement plongé dans les aides à l’innovation, je suis d’accord avec calculman sur le problème de la définition de l’éligibilité basée sur la technologie uniquement (dommage pour les innovations de service pures). Ce critère, en apparence rigide, vient du fait que les subventions sont calculées sur la base de devis de dépenses futures qualifiées de R&D et cette qualification est plus facile à évaluer si cela repose sur un besoin technologique.
    Bref, les institutions ont conscience de ce problème et travaillent à un cadre plus ouvert aux innovations de service… (m’enfin en ces temps actuels il faut déjà trouver des sous pour l’innovation « classique », alors patience)

    Plus généralement, à chaque demande de subvention, je rappelle que l’entreprise ne doit pas oublier qu’elle devra dépenser au moins 50% de son budget et que donc les subventions n’effacent pas les risques financiers, elles les soulagent. Je rappelle aussi aux sociétés qu’on doit venir chercher plus qu’une subvention c’est-à-dire un accompagnement (prise de recul, sortir de l’isolement, optimisation de dépenses, perfectionnement du business model, etc…). Les PME appellent souvent les subventions une carotte, moi je parle plus de cerise sur le gâteau!

    Plus généralement et pour revenir au coeur de ce billet, il faut faire la part entre :
    1. l’innovation en tant qu’état d’esprit d’une organisation (créativité) et
    2. l’innovation en tant que processus sur la durée jusqu’à mettre un nouveau produit/service sur le marché (autrement dit la R&D).

    Le premier ne coûte pas grand chose et constitue un vrai plus pour la dynamique de l’entreprise si tant est qu’on arrive à installer cette mentalité. Le deuxième est en général déjà plus un problème d’investissements souvent lourds.
    Donc à mon humble avis, ce préjugé sur l’innovation forcément risquée vient d’un problème de langage. Il faudrait arrêter de mettre le mot innovation à toutes les sauces dans la presse et dans la politique. INNOVATION vs R&D vs CRÉATIVITÉ vs INVENTION vs RUPTURE …

  3. YH says:

    Réaction à chaud quand même… Tant pis.
    Désolé donc de n’avoir pas su mieux tourner mon idée, j’espérais qu’elle soit prise comme une remarque constructive – et juste un poil piquante pour le plaisir des sens.

    En tout cas,
    1) merci de lui avoir permis d’être exprimée, et
    2) je vous prie de croire que je ne remets rien en question au-delà de cet article,
    qui aurait juste à mon sens gagné à être re-synthétisé, puis éventuellement intégré à autre chose s’il ne restait plus assez de matière.

    Pas de blog actif : la seule chose que je trouvais intéressante à partager pour l’instant tient dans le premier commentaire lui-même.

    Cordialement,
    YH

  4. Marty says:

    Dépenser plus pour dépenser mieux ! Il faut reconsidérer les dépenses en R&D, faire évoluer le Crédit d’impôt recherche et ne pas avoir peur d’innover ! CroissancePlus s’intéresse à l’innovation des entreprises dans le petit journal de campagne n°1 sur l’innovation. http://objectifs2012.croissanceplus.com/sujet/journal-de-campagne-1/

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