Bon sang de bon sang, s’il y a un modèle universel que connaissent les innovateurs du monde entier, c’est bien le « Stage Gate process ». C’est un processus en étapes qui permet de passer de la génération d’idées au lancement du produit en traversant des phases de développement, de prototypage, de tests techniques et marketing. De manière un peu manipulatoire, on pourrait dire du « Stage Gate process », comme de l’alcool, que son abus est dangereux car il permet de faire échouer 70 à 90 % des tentatives d’innovation (Inspiré de Anthony Ulwick « What is outcome driven Innovation (ODI) ? »). Belle performance ! Pour quelle raison ce modèle conduit-il à de si piètre résultats ?
Premièrement, il est frelaté par conception car, la première étape est celle de la génération de l’idée et pas celle de l’étude des problèmes des clients (Inspiré de Anthony Ulwick ibid). Demander à une équipe de « brainstormer » pour générer un maximum d’idées sans savoir ce que veulent les clients est un peu fort d’un point de vue marketing. Statistiquement on a autant de chance de trouver un produit qui satisfasse les clients dans ces conditions qu’en demandant à un singe de taper les œuvres de Shakespeare en anglais sans faute à l’ordinateur. La probabilité qu’il y arrive existe, mais elle est faible (inspiré de Callon et Latour)
Deuxièmement, il faut bien se rappeler que le « Stage Gate process » n’est qu’une méthode de développement de produits. Ce n’est ni un manuel marketing, ni un modèle de vente, ni un modèle de clients, ni un modèle financier (inspiré de Steven Blank « The four steps to the epiphany »). En effet, ou sont les clients dans le modèle du « Stage Gate process »? Oh bien sûr, ils sont présents, mais bien tardivement dans la phase des tests, c’est-à-dire au moment ou le concept est déjà figé dans un prototype que le client pourra aider, à la rigueur, à améliorer mais qu’il n’aura pas aidé à créer. C’est ce qui fait dire que « les tests de concepts ne testent jamais les concepts », mais bien la représentation que l’innovateur se fait du concept. On se demande bien comment ceux qui pratiquent le « Stage Gate process » réagiraient si leur médecin leur disait « je ne sais pas de quoi vous souffrez mais je vais essayer plein de remèdes différents et on va bien voir si il y en a un qui marche dans le tas? (Inspiré de Anthony Ulwick ibid). Ils auraient sûrement confiance !
En réalité, ce qui manque au « Stage Gate process », c’est la prise en compte précoce des attentes des clients qui doit passer par une connaissance intime de ces derniers. En effet, un des pires péchés en marketing est de croire qu’on sait ce que veulent les clients. Tant qu’on n’est pas allé sur le terrain au préalable pour valider des « clients’ pains » (des souffrances des clients au sens littéral) on ne peut que pousser son fantasme sur le marché en se berçant de l’illusion que le produit se vendra de toute manière car il est le meilleur. En réalité il faut apprendre du marché et des clients au cours de ce que nous appellerons dans un prochain billet « l’état transitoire » Cette phase d’apprentissage et d’influence réciproque (du client par l’innovateur autant que de l’innovateur par le client) est la phase clé du processus d’innovation. A ce titre, il serait logique que les innovateurs soient plus payés pour ce qu’ils sont capables d’apprendre que pour ce qu’ils savent (inspiré de Steven Blank ibid). Une fois cet apprentissage fait et une fois les contours du cahier des charges à peu près précisés, alors, mais seulement alors, le « Stage Gate process » peut être mis en œuvre avec efficacité pour matérialiser le concept dans le meilleur respect des couts, de la qualité et du délai.
Publié par Paul Millier le 21 Avril 2012
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Merci Paul pour ces mises en garde. Je pense que comme pour tous les outils (sauf « faute originelle »), c’est la manière dont on s’en sert qui en fait la réussite ou l’échec, ce qui est important est d’en comprendre les intérêts (ici je pense une approche structurée avec des points de contrôle forts) et les limites (un aspect trop linéaire de l’innovation où il faut réintroduire des itérations, des boucles, des raccourcis…).
En ce qui nous concerne, nous impliquons le client dans toutes les phases du process:
-souvent ils sont à l’origine d’une idée d’innovation,
-on les questionne dans le scoping/market investigation pour préciser la réalité de leurs « pains » et la pertinence d’un développement,
-on teste en cours de route la solution développée,
avant bien sûr les tests industriels et le lancement commercial mais peut être avons nous une interprétation du stage-gate déjà très influencée par l’EMLyon…
« On se demande bien comment ceux qui pratiquent le « Stage Gate process » réagiraient si leur médecin leur disait « je ne sais pas de quoi vous souffrez mais je vais essayer plein de remèdes différents et on va bien voir si il y en a un qui marche dans le tas? (Inspiré de Anthony Ulwick ibid). Ils auraient sûrement confiance ! »
Ca c’est la méthode du docteur House…
En ce moment, je prends plaisir à lire votre article en ayant en tête le projet dont je vous ai parlé. Les concepteurs de ce projet ont créé un premier jeu test il y a un an, qui leur a permis d’avoir une visibilité du marché exceptionnelle. Je peux sans me fourvoyer, affirmer que ce jeu (présenté lors dun de nos exposé) a réellement servi de labo à leur équipe. La différence entre le premier et le second projet développé, c’est que dans un cas, ils ont fait toutes les erreurs répertoriées dans cet article, inhérentes au SGP, et dans le cas présent…ils connaissent réellement leur marché. 🙂
Merci « Djam O » pour ce commentaire illustratif Si vous voulez faire un petit billet sur ce cas d’ecole je suis preneur pour un prochain article sur le blog
L’approche stage gate, nous l’expérimentons montre aussi, et on détecte ce genre de situation, car le processus d’innovation est peu clair ou trop court, d’où l’approche plus financière du stage gate qui permet de limiter la casse en cas d’enlisement du projet, mais ne laisse pas un grande place à la définition d’un cahier des charges correct avant que le projet ne démarre. On voit même des cahier des charges murir en fin de projet, tellement les phases peu valorisables sont négligées.
Le client est important pour exprimer un besoin et definir une idée de base. Mais le réel travail c’est de projeter cette idée dans un concept complet en généralisant le produit pour répondre à plusieurs évolutions et le rendre un peu sexy pour motiver le financement.
La plus grosse difficulté, c’est de faire à partir d’une idée complexifié, par l’état historique de la technique du client, et de la transformer en idée simple et logique. Parfois on peut même espérer obtenir une solution très décomplexifié en reprennant le but à atteindre et en le plaçant dans la technologie du jour.
A ce jeu l’Asie est fortement en avance et plus dynamique pour la transposition sur des appareils tout à fait corrects, donc la vrai question est pourquoi maintenir des surcoût liés à des appareillages pré-historique et un management vielle école, quand on veut être créatif et rattrapper une telle concurence qui est largement en avance ?