Il n’aura pas échappé aux lecteurs assidus de ce blog, que celui-ci a eu une activité ralentie depuis le début de l’été. Ce ralentissement est imputable au gros investissement qu’il m’a fallu faire pour rédiger le manuscrit d’un prochain livre de management de l’innovation à paraitre début 2013 chez Pearson. Comme tout travail très accaparant, celui-ci a tenu un peu du chemin initiatique ou l’on découvre en marchant des choses qu’on n’avait pas mises au cahier des charges en démarrant l’ouvrage.
En l’occurrence, ce qu’il était prévu de montrer dans ce manuel qui renferme une méthode pour innover efficacement, est qu’une innovation ne doit son succès ni au hasard ni à la chance, mais bien au travail et à la méthode. Cela semble banal à énoncer mais qui procéderait autrement n’aurait pas d’autre choix que de prier pour que son innovation réussisse. Or, sans dévaloriser le pouvoir de la prière, on peut penser à tout le moins, que la méthode et le travail renforceront son efficacité. Bon, ça, c’était dans le cahier des charges.
Mais quand on y réfléchit, la méthode seule ne suffit pas. Sans l’innovateur ou l’entrepreneur, à l’origine de l’idée et de sa valeur, elle ne serait qu’un logiciel qui tourne à vide sans données pour l’alimenter. Or, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer dans ce blog, quand on innove, on ne sait pas toujours bien de quoi on part et encore moins où on va arriver. Le processus d’innovation a cette caractéristique de prendre naissance dans une grande indétermination, par le fait même que l’idée jaillisse d’un cerveau, de manière fortuite ou concertée. A la différence des processus industriels par exemple, le processus d’innovation a donc ceci de particulier que l’humain fait partie de la boucle en apportant un maillon initial indéterminé à la chaîne ; l’idée, l’étincelle incontrôlable. Et c’est cela qui fait tout le charme et la difficulté de l’innovation car c’est précisément cet élément indéterminé qui détermine tout le reste. L’issue est en effet en grande partie déterminée par l’idée de départ, à l’instar du cristal de glace qui croît sur une fenêtre en hiver. On ne sait pas quelle forme finale il va prendre, mais il se trouve que celle-ci est déterminée par la nature aléatoire de l’impureté à partir de laquelle il va prendre naissance et croître. Et c’est toujours beau un cristal de glace !
Cette indétermination va donc avoir des conséquences sur la manière de traiter le problème au niveau méthodologique. En effet, pour que le manager puisse faire des choix et prendre des décisions, il faut faire passer cretaines données de départ à travers un processus où les étapes s’enchaînent dans un ordre qui doit être rigoureux tout en ménageant des allers et retours et des remises en cause de l’idée initiale. En quelque sorte, il faut compenser l’indétermination de départ par une plus grande rigueur dans le management du processus d’innovation et que le processus utilisé soit bien spécifique à l’innovation, par essence incertaine. En effet s’il existe des méthodes rôdées, rigoureuses et déployées dans le monde entier – de type « Stage Gate process » – celles ci conviennent bien pour gérer des projets dont le résultat est connu à l’avance (une usine, un barrage, la nouvelle VW Golf TDI…) mais elles s’accommodent mal de l’incertitude qui entoure l’innovation (cf. article d’avril de ce blog).
Dès lors, comment résoudre cette quadrature du cercle de l’innovation qui consiste à dire d’un côté qu’il faut plus de méthode pour compenser l’indétermination et d’un autre côté que trop de méthode nuit à la santé des innovations. En réalité la solution est assez simple, car en effet, ce paradoxe apparent tient au fait que le stage gate process ne peut commencer à s’appliquer efficacement que quand le cahier des charges de l’innovation est connu. Donc, ce qui manque dans le processus global innovation c’est plus de méthode en amont de la fixation du cahier des charges, entre le repérage d’une opportunité et la fixation du cahier des charges. Et c’est précisément ce que propose ce nouvel ouvrage à venir ; une méthode rigoureuse à mettre en place en amont du stage gate process et qu’on pourrait en quelque sorte qualifier de processus d’innovation amont par opposition au stage gate process qui ferait plus partie du processus d’innovation avale.
En conclusion, pour compenser l’indétermination qui caractérise l’émergence des idées d’innovation il faut mettre en place une méthode rigoureuse pour gérer ce processus en amont qu’on appelle parfois le fuzzy front end car en effet, un problème bien posé est à moitié résolu.
Paul MILLIER
Le 19 Novembre 2012 en direct de la salle 315 d’EMLYON en présence de la promotion 2013 du Mastere spécialisé en management de la technologie et de l’innovation.
On attendait effectivement impatiemment votre retour Paul… et maintenant on attend la sortie du prochain livre! Tout à fait en phase avec votre analyse, en n’oubliant pas bien sûr des « boucles » dans le processus aval type stage-gate pour prendre en compte la non-linéarité du processus d’innovation.
Votre article, et le graphe « Satisfaction provided by incumbet solutions /importance of the « Job to be done » complètent bien la démarche de Clayton Christensen décrite entre autres dans « The innovator’s solution ». Merci.
Les graphes de Christensen reprennent en fonction du temps, la performance utilisée par le client et la performance fournie par le produit. Ils nous montrent les zones où des investissements dans une recherche d’amélioration incrémentale du produit est plus adaptée (lorsque l’on est dans la zone où les clients en attendent plus), ou les zones où une recherche d’innovation disruptive avec un produit moins cher, plus facile à utiliser, … a plus de chance d’aboutir à un succès (lorsque les produits disponibles ont plus de fonctionnalités et de performances que le « client » n’utilise réellement). L’avantage de votre graphe, c’est qu’il permet lors d’une analyse d’un portefeuille de projets d’innovation, de semi-quantifier l’intérêt d’une recherche par rapport à une autre. Cela est moins visible dans les documents de Christensen dont j’ai connaissance. Merci.
Néanmoins, cette analyse de l’opportunité ne sera qu’un élément de décisions parmi beaucoup d’autres, le principal restant à mon sens, l’adéquation du projet d’innovation avec la stratégie de l’entreprise.
Bonjour,
Intéressant.
Je suis d’accord que « … le processus d’Innovation soit spécifique à l’innovation », mais dans le sens « … le processus d’Innovation soit spécifique et défini pour chaque innovation en cours de développement ».
En effet dans la conclusion, le terme de « méthode rigoureuse » me semble inapproprié pour la phase amont, craignant que le développement de l’idée vers un concept innovant ne puisse pas rentrer dans une méthode rigoureuse généraliste. Personnellement, j’utilise plutôt un « plan d’action spécifique au projet », qui pour moi apporte une souplesse durant le développement du concept. Il sera défini spécifiquement par le groupe projet pour le développement de la nouvelle idée. C’est en quelque sorte un process spécifique et évolutif.
Au plaisir de te lire,