Le changement est défini comme la transition d’un état vers un autre et il existe différentes manières d’aborder le changement. Les entreprises utilisent souvent pour cela le « problem solving » qui est une méthode très répandue et très prisée des ingénieurs et autres managers rationnels. Pourtant, cette méthode présente l’inconvénient qu’on a vite fait d’associer une connotation négative au terme « problème ». Quand on dit « t’as un problème ? » ca sent tout de suite l’embrouille. En effet, un problème peut se définir comme une situation dans laquelle un obstacle empêche de progresser. On peut même percevoir une notion d’anormalité ou de déficience derrière la définition du mot problème. Le cheminement classique du problem solving consiste à identifier d’abord un problème en se posant des questions telles que « Quel est le problème ? Qu’est ce qui ne va pas ? Que doit-on réparer ? » Ceci étant fait, on analyse ensuite les causes du problème dans l’intention de proposer des solutions et on élabore un plan d’actions qu’on exécute. Le fait de raisonner à partir d’un problème est la première source de critique venant du champ qui se nomme « appreciative inquiry ». Ce champ apparenté à la psychologie positive reproche au « problem solving » de restreindre les axes de réflexion en se focalisant essentiellement sur un problème. En contraste, dans le cadre de l’appreciative inquiry les acteurs s’engagent dans un processus réaliste en partant du « bien » pour faire « encore mieux », en s’appuyant sur une analyse pragmatique de leurs forces et faiblesses, ce qui peut mener bien au-delà de la simple résolution d’un problème.
Développée dans les années 80, l’appreciative inquiry est une méthode pour étudier et changer les systèmes sociaux. Pour mieux comprendre la philosophie de la démarche il faut éclairer les deux mots qui en composent l’intitulé. « Appreciative » signifie que ce sont les acteurs eux-mêmes qui apprécient (de manière subjective, mais justifiée du fait de leur position centrale dans le système). « Inquiry » signifie qu’on se met à la recherche d’éléments positifs, de possibilités ouvertes, de potentiels qui se révèlent sans a-priori et sans idées préconçues sur un « objectif » à atteindre (contrairement à la logique de projet et de problem solving). Cette démarche est participative car ce sont les acteurs eux-mêmes qui « apprécient » et « enquêtent ». On l’appelle, communément modèle 4D car elle repose sur quatre étapes.
Au cours de la phase « Discover » ou « Découverte », on identifie les forces du système dans son environnement en appréciant le meilleur de ce qui est. On évalue ainsi son potentiel à évoluer en fonction d’une appréciation concomitante du contexte (savoir où peuvent me porter le système et le monde autour). Cette première étape sert à déterminer ce qui fonctionne bien sur le sujet qui doit faire l’objet du changement.
La deuxième phase, appelée « Dream » ou « Devenir » incite les acteurs concernés à imaginer et à bâtir la vision idéale (mais non utopique) du résultat du changement, c’est-à-dire, ce qui pourrait être. Ils se mettent alors à partager une aspiration commune du futur qu’ils vont essayer de symboliser ou de « solidifier » afin de rendre le fil de leurs pensées toujours plus concret. Le but de cette étape est de créer une cohésion, un engagement mutuel pour un futur à construire qui va au-delà d’une simple résolution de problème.
Au cours de la troisième phase nommée « Design » ou « Décision », portés par leur envie d’atteindre leur « rêve » (phase Dream) et connaissant les forces sur lesquelles ils peuvent s’appuyer (phase Discover), les participants parviennent à développer concrètement ce qui devrait être. C’est l’étape qui, avec l’aide des deux premiers « D », est réellement génératrice d’évolution positive et de sensation de mieux. En effet, les deux premiers « D » ont pour but d’amorcer et de stimuler activement les esprits pour délivrer un flux d’idées lors de cette étape de design.
Initialement, la dernière phase du modèle était appelée « Delivery » mais elle rappelait trop étroitement les méthodes classiques d’implémentation du changement. En effet, le terme « Delivery » qui évoquait un « livrable », une réponse à un problème n’était pas en accord avec la philosophie d’ « appreciative inquiry ». La réalisation d’un plan d’actions, où les tâches sont assignées par un manager, avait tendance à tuer la dynamique positive instaurée par les phases amont. Aussi, le terme Delivery a-t-il été remplacé par « Destiny » ou « Déploiement » pour signifier que les acteurs du système à changer choisissent les éléments du design et commencent à mettre en œuvre ce qui sera, comme si ces éléments étaient prédestinés. Le management joue dans ce cadre le rôle de support aux initiatives des individus chargés de prendre leur destinée en main.
Aux quatre D il a été souvent ajouté la notion d’évaluation appréciative qui complète ce cycle pour que les acteurs apprécient la part du Dream qui est mise en œuvre dans la Destiny. En ce sens, l’évaluation appréciative est l’exacte opposée d’un audit, puisque, d’une part, elle est le fait des acteurs eux-mêmes et que, d’autre part, elle repose sur un indicateur principal qui est l’appréciation des personnes, donc fondamentalement subjectif.
En résumé, par sa tournure d’esprit positive « l’appreciative inquiry » permet d’avoir un effet à deux niveaux.
Au niveau de l’innovation, la démarche considère qu’on n’a pas besoin d’attendre qu’il y ait un problème pour innover. Toute situation, même bonne, peut faire l’objet d’amélioration et donner lieu à l’émergence d’innovation. Grace à l’« appreciative inquiry » on met d’abord en évidence les qualités du système à faire évoluer (phase Discovery) avant de se projeter dans un futur idéal (phase Dream). De cette manière on peut viser un objectif bien plus ambitieux et enthousiasmant que celui qui se restreint uniquement à la résolution d’un problème. Les esprits ainsi débridés sont alors prêts à générer des idées créatives et constructives (phase Design et Destiny) qui dépassent les espérances, de sorte qu’on obtient des résultats « techniquement » plus performants que par le problem solving.
Au niveau du management du changement, l’appreciative inquiry joue positivement sur la résistance au changement. En effet, la plupart du temps, celle-ci vient d’un manque d’information qui créé la peur de l’inconnu et la sensation de ne pas maitriser ce qui va se passer. Or, le fait même d’engager et d’inclure les acteurs au centre de la démarche lève cette barrière car ils fabriquent eux-mêmes l’information qui leur est utile et sont à l’origine du changement qui va les affecter.
A l’usage l’ « appreciative inquiry » permet de se poser les bonnes questions, de découvrir la réelle intention cachée derrière le désir de changement et d’atteindre des résultats inespérés en termes de valeur.
Inspiré de la thèse professionnelle de mastère de Bastien Gourdon (MSMTI 2013) et écrit par Liliane Esnault, Bastien Gourdon et Paul Millier
En ce qui concerne la remise en question pour but d’amélioration, il y a le terme « hacker way » qui est très en vogue dans les société technologiques américaines, notamment Facebook. Cela se base sur une vision du monde où rien n’est acquis.
Bonjour Paul,
Ce qui est décrit est mon quotidien!
Au terme « problème » on préfère cependant « issue » et il est bon d être un « pirate » pour jouer avec les limites des règles!
Cdlt
Alexandre, msti 2004