Le mariage de la QUArpe et du lapINNO

De l’apport de la QUAlité à l’INNOvation

S’il y a bien deux disciplines du management qu’on a plutôt tendance à séparer qu’à rapprocher ce sont la qualité et l’innovation car elles suivent a priori deux rationalités différentes. La qualité repose sur une rationalité procédurale qui postule qu’à partir du moment où les processus et les étapes sont respectés, le produit et la prestation fournis seront bons et de qualité. L’innovation, quant à elle, suit plutôt une rationalité substantive ou l’on juge plus les résultats, pouvant par ailleurs être mauvais même si l’on respecte la procédure (cf billet d’avril 2012). Dans ce cas, les processus doivent être souples pour s’adapter au contexte et aux clients pour éviter de passer à coté des opportunités qu’on a soi même créées en progressant et en éduquant les clients. En outre, en matière d’innovation, ce qui marche bien une fois ne marche pas nécessairement bien à chaque fois (d’après Henry Mintzberg). En revanche les deux approches ont pourtant plusieurs points communs.

 Un premier point est qu’elles sont toutes deux un facteur clé par rapport à la concurrence et sont indispensables à l’amélioration de l’entreprise. La qualité joue un rôle essentiel dans la satisfaction du client et l’amélioration des processus et l’innovation est sensée résoudre les problèmes des clients.

 Elles ont aussi en commun de faciliter les liens entre activités, et de servir de support au reste de l’entreprise et pourraient, à ce titre, être ajoutées à la chaine de valeur de Porter en tant qu’activités de soutien comme les achats ou la R&D. Ces deux fonctions de support aux activités sont donc transversales à l’entreprise. En conséquence, le manager de la qualité et le manager de l’innovation doivent impliquer, motiver et engager sans être cantonnés à un service précis et sans avoir autorité hiérarchique sur les équipes qu’ils impliquent dans le processus.

 Le troisième point commun se situe au niveau de la mise en œuvre de comportements et de compétences proches ou similaires comme par exemple la capacité à fédérer un réseau, être convaincant et crédible dans un environnement pluridisciplinaire ou encore être réactif.

 En dernier lieu, sans une motivation forte à les mettre en œuvre, les entreprises peuvent être tentées de les remettre à plus tard. En effet, sous la pression opérationnelle pour respecter les délais et les coûts, il y a le risque de négliger la qualité en prétextant un manque de temps ou de ressources. Pour l’innovation, le principe est le même, les activités d’exploration, assurant la pérennité de l’entreprise à long terme, peuvent être considérées comme secondaires au profit des activités d’exploitation garantissant le court terme. En cas de conflit ou de manque de temps ou de ressources, le court terme l’emporte toujours sur le long terme.

 Compte tenu de la nature de ces points communs, on peut soupçonner que la démarche d’innovation rencontre les mêmes obstacles que ceux qu’a rencontrés la qualité en son temps. En effet, une culture de l’innovation ne se décrète pas plus qu’une culture de la qualité. Il faut, pour y parvenir, mettre en place des dispositifs (au sens du billet de septembre 2013) comme on en a mis en place pour introduire la qualité.

 C’est ainsi que, pour faire le parallèle entre les deux fonctions, on pourrait envisager :

  • La formation d’experts de l’innovation qui pourraient progresser jusqu’à la « black belt ».
  • Le coaching par les black belts des équipes qui souhaitent innover, comme de celles qui n’en manifestent pas la demande, souvent par méconnaissance de ce qu’elles peuvent retirer de la démarche.
  • La mise en place de cercles d’innovation animés par les black belts pour qu’au sein de ces cercles s’effectue le transfert de compétence d’innovation par la pratique sur des cas réels.
  • La rédaction et la diffusion des règles et des bonnes pratiques de l’innovation comme il existe un manuel de procédure qualité.
  • La nomination d’un directeur de l’innovation qui incarne la fonction et joue le rôle de référent.
  • La mise en place d’un tableau de bord de l’activité d’innovation, basé sur des Key Performance Indicators (KPI) permettant de repérer les progrès continus comme les faits marquants, les risques et les problèmes.
  • La mise en place d’un réseau interne d’innovateurs qui partagent leurs meilleures pratiques, éventuellement en réutilisant les ressources d’un réseau interne « qualité » existant.

 Comme cela s’est passé pour la mise en œuvre de la démarche qualité et comme cela se passe souvent pour la mise en œuvre d’un changement, on peut envisager que l’implémentation de la démarche innovation suive une démarche en spirale. La mise en place d’une première petite action clé permet de voir comment réagit le système et génère l’information qui permet de corriger les erreurs du démarrage et de passer à l’étape suivante. C’est la condition pour lutter contre la résistance au changement et pour que les équipes intègrent la démarche qu’un passage en force risquerait de faire rejeter.

 Comme le martelait Peter Drucker : « Vous voulez innover ? De la discipline ! » Aussi, compte tenu des points qui rapprochent les deux démarches, pourquoi ne pas s’inspirer de l’expérience réussie de la qualité pour trouver la discipline nécessaire à la mise en place d’une démarche innovation dans l’entreprise. Mais s’agissant de l’innovation, on joue sur le fil du rasoir car s’il faut bien formaliser les règles d’un coté, il faut veiller d’un autre coté à ce qu’elles ne viennent pas paralyser l’exercice en le contraignant trop. Il est donc nécessaire de trouver un compromis entre structure et liberté d’action en formalisant des règles souples et surtout agiles.

 Article écrit par Paul Millier et Florent Meille (MSMTI 2013)

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7 Responses to Le mariage de la QUArpe et du lapINNO

  1. La révolution vers une innovation disciplinée est en marche ; pour vous en convaincre découvrez les spécifications techniques CEN/TS 16555-1 qui définisse un cadre pour une gestion optimale de l’innovation dans l’entreprise (y compris dans les PME). Les outils d’analyse permettant de connaitre sa position par rapport cette norme existent déjà, vous les trouverez chez certaines Chambres de Commerce et d’Industrie (http://www.auvergne.cci.fr/?q=innovation/initier/demarche) et dans certains cabinets de conseil (https://www.improve-innovation.eu/).
    La commission Européenne pousse pour l’application de cette jeune norme, l’AFNOR la transpose et la traduit, à suivre…

  2. Edouard Bonnard says:

    De mon point de vue si l’innovation et la qualité sont deux fonctions structurellement voisines (récupération de feedback, analyse, action) elles diffèrent selon la maturité du produit :

    En phase d’exploration la qualité n’existe pas car le produit ne connait pas encore sa forme définitive (cas des start-up). C’est l’innovation qui va guider ce produit jusqu’à maturité.

    En phase d’exploitation le produit a atteint une maturité suffisante pour pouvoir être jugé qualitativement par les clients. L’innovation laisse donc sa place à la qualité (cas des industries matures).

    Edouard Bonnard
    MS MTI 2014

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  4. Cachalou says:

    Bonjour,
    selon moi un point différencie la qualité et l’innovation en terme de management. C’est le droit à l’erreur. Autant elle est acceptée dans une démarche créative d’innovation car on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs… Voire même certaines démarches créatives sont axées sur la production quantitative d’idées. Alors qu’en terme de qualité, l’erreur peut coûter très chère. On cherche donc à la diminuer le plus possible.
    Laurent Cachalou
    http://www.innover-malin.com

  5. Je vous rejoins parfaitement dans votre analyse.
    En vous lisant il me vient cependant quelques idées complémentaires :
    – la mise en place de l’innovation en entreprise suit un parcours similaire à celle de la qualité dans les années 1970 : déni initial, puis incantations, puis nomination d’un directeur en poste transversal qui doit procéder par influence mais avec peu de résultats, puis repositionnement de la qualité comme faisant partie intégrante du rôle de chacun et en particulier des managers, les experts fonctionnels n’étant là que pour les aider. Aujourd’hui en innovation on n’en est même pas encore à la nomination d’un directeur dédié, de nombreuses entreprises croient encore qu’innovation = R&D.
    – la qualité a décollé parce que les normes correspondantes ont été rendues obligatoires par les grands donneurs d’ordres. Cela n’a pas été le cas pour l’environnement, ce sera encore moins le cas pour les normes d’innovation, qui ne sont pas obligatoires. En Allemagne, 100% des entreprises sont dotées de systèmes de suggestions des employés (même si l’essentiel des résultats s’observe dans l’industrie, très peu ailleurs). La grande question devient : comment lever les blocages ? par la direction générale, les managers intermédiaires, voire les syndicats ?
    – le sujet « qualité » peut être traité par le biais de l’innovation collaborative, en lançant des challenges ponctuels sur le sujet. On peut faire de même sur l’amélioration continue en général, mais aussi sur la sécurité, la protection de l’environnement…
    J’essaye de décrire le sujet sur mon site (non-commercial) Motiver – Innover , votre avis sur son contenu serait le bienvenu.

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